Comment j’ai en partie raté mon premier 100km

Robin Bonduelle
10 min read4 hours ago

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Bon, on ne va pas y aller par quatre chemins : c’est une course pas complètement ratée, mais pas complètement réussie non plus ce premier 100km. J’en ressors avec un goût aigre-doux dans la bouche à la mode traiteur chinois carburant au glutamate.

Je l’attendais pourtant ce retour en terre sainte, un an après ma belle huitième place. J’avais à coeur de venir revivre cette émotion si particulière, qui persiste en moi comme ma petite madeleine de Proust.

Pour autant, je n’ai pas rempilé sur le Grand Trail, la course reine, mais sur les 100km de l’Endurance Trail, histoire de parachever la pyramide kilométrique que j’échafaude depuis l’an dernier : celle qui m’a fait préférer le 50 au 20, puis le 80 au 50. Dans ces conditions, le 100km de fin de saison avait du sens, avant de goûter peut-être au 160 l’an prochain.

Le profil de la course

Soit, le format étant privilégié à la fame, l’intime Endurance Trail ce serait. Je tenais mon objectif, il restait à le préparer.

La préparation

J’ai débuté mon bloc de préparation début septembre reposé de corps et d’esprit, ayant très peu couru durant l’été, rattrapé que j’ai été par mes obligations pros. J’y ai perdu du volume, l’occasion de m’essayer au GRP aussi, mais j’y ai gagné de la fraicheur au change.

Pendant 6 semaines, j’ai tiré une droite de progression presque parfaite sur mon volume et mon intensité, tout en contrôle géométrique. Probablement ma plus belle prépa jusqu’ici. J’en glisse d’ailleurs le détail complet ici, pour les curieux.

J’ai pu y introduire de nouvelles routines de récupération — auto-massage, mobilité, renforcement, ennui (!) — qui m’ont rendu plus en cannes que jamais, et m’ont permis de monter sans secousse à 190km au pic, mon record ever. Ma HRV ne s’est jamais aussi bien portée, mon coeur non plus, lui qui est descendu à 40 battements la nuit quand je peinais à frôler les 50 jusqu’à peu. Toute cette data c’est bien, mais ma forme s’est également reflétée sur mes sorties. Pour être honnête, je n’en revenais pas de ce que je pouvais sortir en séance.

Dans cette prépa, j’ai également tenu à y glisser une dose d’aventure, avec une traversée du Jura Suisse dans les deux sens. Je n’avais jamais fait la moindre compétition jusqu’à l’an dernier, et je sais d’ores et déjà que je reviendrai vite à ce genre d’exploration plus personnelle tant j’ai aimé l’expérience. L’émotion n’y est pas moins forte qu’en course ; plus poétique et rêveuse peut-être… Cela mériterait un article à part entière à vrai dire !

Voyager en tenue de trail sous le regard interrogateur des voisins de wagon, avec pour seul bagage une brosse à dent et un caleçon de rechange. Partir léger comme le vent. Partir comme pour ne jamais revenir… Fichtre, ça sonne aussi beau qu’un refrain de Goldman.

Bref. Trois semaines avant la course, malgré cette belle préparation — on commence à être coutumier du fait — je me suis malheureusement blessé au piriforme lors d’un fractionné sur piste. En une fois, comme ça, PAF une douleur aiguë dans la fesse, douloureuse au possible. Probablement une petite déchirure. Quelle ingratitude ce sport… Je naviguais dans le flow du coureur, et un simple mouvement de trop m’a mis un camouflet sans appel sur le derrière, comme à un vilain garnement. C’est arrivé le jour où j’ai attrapé la crève de mes deux lardons — fragilisé, mon organisme était déjà surement en train de ployer sous les glaviots pour bien résister.

Quoi qu’il arrive, je commence à être habitué : à ce stade, j’avais deux options. Arrêter ma prépa, ou sauver ce qui pouvait l’être moyennant quelques adaptations. Ma fesse ne me gênait pas tellement en montée. Sur le plat et en descente, au prix d’une adaptation de la foulée combinant augmentation de fréquence et attaque talon à l’ancienne, je pouvais courir jusqu’à 4min10 au kilomètre sans trop réveiller la douleur. J’ai donc axé mes séances restantes sur des intensités en côte, sans me risquer ni sur plat et ni sur descentes. La forme restait là. J’ai par exemple mis 13 minutes à mon précédent record sur le KV du coin, sans même l’avoir cherché.

Vingt dieux, comme aurait dit mon grand père. Une fois encore après l’Andorre, j’arrivais sur mon événement diminué, avec une foulée Frankenstein, forcé de veiller sur mes douleurs de petit vieux comme le lait sur le feu, au risque de faire un arrêt définitif au stand.

Je n’étais pas tellement confiant voyant la course approcher, mais pas complètement démoralisé non plus. Je savais que sans mouvement déplacé et en monitorant finement mon allure, je pourrais certainement tenir la distance. Chance d’avoir choisi l’Endurance Trail et pas le Grand Trail, sans quoi je n’aurais même pas tenu les 5 premiers kilomètres au vu de l’allure !

Voilà, les jeux étaient faits. Pour moi : une forme étincelante, un mental plus clarifié que du beurre et une motivation à bouffer des haubans. Contre moi : une fesse paresseuse, souffreteuse, prête à se faire la malle au premier faux mouvement.

La course

Plan de course

Le matin de la course est arrivé comme ça. 4h du matin, Millau. Les jambes légères, si fraiches. Pendant 50 kilomètres, j’ai pu faire jeu égal avec Yannick Noël, Remy Brassac et Sylvain Court. L’allure était la bonne, mes inquiétudes d’avant course se sont dispersées comme les trombes d’eau que nous n’avons finalement jamais reçues sur la tête.

C’est donc vrai ce que j’entendais dans certaines interviews. Que sur le long, les athlètes parlent de la pluie et du beau temps. Pour un peu, on se croirait dans une randonnée entre copains à la belle étoile. Un peu intimidé, j’ai surtout écouté, avec pour la première fois l’impression grisante de faire partie du sérail. D’une part, ce n’est pas vrai, d’autre part, ce n’est pas particulièrement remarquable, mais il s’agit peut-être du premier enseignement de ma course : si j’aspire à gagner des trails un peu plus relevés, il faudra bien que je mette de côté mon sentiment d’infériorité d’apprenti trailer.

Passons, ma tête chauffait un peu, mais je ne suis pas timoré, et ça n’empêchait pas mes jambes de courir toutes seules, plus légères que jamais. Non, c’est bien vers le 45ème que les choses ont commencé à se gâter. Pour deux raisons, l’une prévisible, l’autre moins.

Dans un écart de concentration malheureux, sur une descente au train, j’ai tendu un peu trop la jambe avant l’arrivée à Saint-André-de-Vézines. Erreur ! La douleur a subitement percuté mon fondement. Fulgurance atroce, ce que j’avais craint de manière diffuse arrivait inéluctablement, après une unique seconde d’inattention… Ah Phèdre ! Ta tragédie s’est joliment incarnée dans les cailloux des Causses !

J’ai perdu cinq minutes en quelques kilomètres sur le trio de tête, occupé à rafistoler de ma foulée ce qui pouvait l’être. A ce stade je pensais abandonner, ne voyant pas comment je pourrais réaliser les 50 kilomètres restants sur une jambe et demi… Manque de chance pour moi, il a fallu que ça arrive sur les portions les plus roulantes de la course, celles-là justement qui sont les plus propices à me fouetter le piriforme.

Bon ça c’était la première raison. La seconde raison, certes moins capitale, n’a cependant pas aidé… Difficilement avouable et pourtant si triviale, elle est venue d’une erreur des plus bêtes. Pour la première fois, j’avais oublié mon Smecta d’avant course. Bonne pratique ou pas — les experts me diront — il se trouve que j’ai copié cette habitude lorsque j’ai commencé la compétition l’an dernier après avoir entendu Mehdi Frère en parler. Sur le papier ça ne paraissait pas bête, il est très fort Mehdi Frère, et après tout je n’ai jamais eu de problèmes de ventre avec ça.

Dans le futur, je pense arrêter cette technique pour que mes entrailles ne dépendent plus que de moi. Dans l’immédiat, c’était trop tard. Phèdre a du bien s’amuser a me frapper du sort par cet oubli sur mon premier 100km, quand les entrailles sont le plus mises à l’épreuve. Je me suis répandu dans pas mal de buissons des causses entre le quarantième et le soixantième kilomètre. Tant d’engrais promet de belles poussées sur les plateaux dans les semaines à venir — malheureux ceux qui passèrent juste après moi, heureux ceux qui passeront bientôt profiter de ces vertes saillies.

J’en ai eu des moments durs en course, depuis un an. L’Andorre avec mon tendon n’a pas été tendre. Rien de comparable cependant avec la traversée du désert que j’ai vécu vendredi dernier… La fesse cisaillée et le ventre haché menu, ma tête a flageolé plusieurs fois sur ses bases. D’un objectif de podium, je suis passé à un objectif de simplement terminer ce premier 100km initiatique.

Et puis, à partir du quatre-vingtième, les choses ont commencé à se tasser. Est venu le moment où je n’avais plus rien à répandre dans les buissons. Ne pouvant plus rien avaler, j’ai ingéré une unique flasque de coca entre la Salvage et la fin. Je risquais fort la fringale mais au moins mon ventre s’était calmé. Côté piriforme, ce qui passe souvent comme la partie la plus dure des Templiers, ces 20 derniers kilomètres aiguisés comme un laguiole, ont été ma chance. Les bâtons récupérés à la Salvage et l’enchainement des côtes ont pu soulager ma fesse et me relancer. Mieux, j’ai stoppé l’hémorragie de l’écart avec Yannick et les premiers, et repris ma quatrième place perdue quelques kilomètres plus tôt.

Au bout du compte, les chiffres sont sans appel. J’ai perdu un peu plus de 20 minutes en 30 kilomètres, du 50ème au 80ème. A l’arrivée, mes jambes restaient fraiches et légères. A quelques secondes près, j’ai monté Massebiau au même rythme que l’an dernier.

Dans ces conditions, difficile pour moi de vraiment apprécier mon résultat et ma course. Côté Yin, j’avais une forme que je n’ai jamais eue jusqu’ici, et que je n’ai malheureusement pas pu exploiter, dans d’épaisses et profondes souffrances… Ce n’est pas aujourd’hui que je confirme ma belle course de l’an dernier. Côté Yang, j’ai fait au mieux avec les faits du jour, sans me démonter complètement, sur un événement vraiment très chouette, avec une équipe de ravitaillement hors norme qui m’a porté tout le long. Quoi qu’il en soit, un beau chemin de croix dans l’escarcelle qui me servira pour la suite.

L’heure du jugement

Si on oublie le Smecta, erreur bête parmi les plus bêtes, le gros point de réflexion que je dois mener maintenant est sur le fait de me blesser quelques semaines avant la course, pour la deuxième fois de l’année.

Je me rends bien compte que mon rythme de vie est difficile à assurer dans la durée. Une femme et deux enfants en bas âge, une maison en ruine à restaurer, une start up à diriger avec son demi quintal d’heures hebdomadaires, et des promesses sportives de haut niveau à honorer…

Je me rends bien compte que ça fait beaucoup pour un seul homme — et sa famille à ses côtés. Je me fais l’effet d’une Twingo lancée à 200km / heure sur autoroute. ça tremble de partout et ça me vibre dans les guiboles à m’en chatouiller les entrailles. Passer de 500km à 5000km de course par an du jour au lendemain n’a aucun sens. Je n’ai pas besoin de coach pour le savoir. Mon corps passe d’une douleur à l’autre, et je m’applique à les marteler l’une après l’autre comme dans ce jeu où il faut fracasser les taupes sortant des trous avec sa pelle.

Enfin, je me rends bien compte que je ne suis pas sur un pied d’égalité avec ces concurrents que j’aimerais tant égaler. Les journées font 24 heures pour tout le monde, mais par mes choix, le cadran est tout de même plus rempli que pour ceux qui ont priorisé l’athlète.

Pourtant, certes, la coupe est pleine, mais bon dieu que c’est bon. Faire vivre ce rêve de gosse à enfin 36 ans. Il était temps ! Que puis-je jeter ? La famille ? C’est sacré. L’entrepreneuriat, c’est avoir la responsabilité pleine et entière de mon travail. La maison ? C’est quand même pas loin d’être la base de la pyramide de Maslow. Le sport… Le sport, c’est quelque chose que j’ai fantasmé depuis toujours sans jamais le prioriser. A 36 ans, j’ai enfin la chance de toucher du doigt ce rêve de sport performance. Comment pourrais-je, après un an et demi de pratique abandonner de plein gré ce rêve qui remonte à si loin et qui surtout commence à s’incarner ?

Non, à 15 ans, il y avait la vie à découvrir. A 18 ans, il y avait la prépa à surmonter. A 20 ans, il y avait Paris et le monde à croquer. A 25 ans, il y avait le travail à dompter. A 36 ans, il est temps que le sport entre enfin dans ce fatras de vie.

Et j’ai tellement d’obligations ailleurs, que ce sport, j’aime l’appréhender à l’instinct, sans coach, à mon rythme, en autodidacte trublion, guère raisonnable mais ô combien passionné. Et tant pis si ça doit casser parfois. On croirait entendre parler casquette verte mais pour une fois, je comprends son point de vue.

Malgré tout, de la volonté à la velléité il n’y a qu’un pas. Je suis arrivé sur mes deux derniers objectifs blessé et diminué. Un mental coriace et un corps encore naïf dans l’exercice se combinent pour la limiter, la casse. Cela ne durera pas.

Alors que faire ?

Je rêve de monter sur 100 miles, pour une diagonale ou un tour du caillou. Mais est-ce bien raisonnable ? Peut-être vaut-il mieux réduire les distances ? Ou limiter les courses à quelques moments forts de l’année ? Dilemme, dilemme : faire coexister en continu travail, famille, trail ou les brancher l’un après l’autre en courant alternatif, au rythme des objectifs ? Prendre, quand même, un coach pour m’assagir ?

Je n’ai pas encore toutes les réponses, mais c’est rudement chouette à explorer tout ça. Je n’ai pas fini de courir.

La suite au prochain épisode !

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