Comment j’ai remporté ma première course sur le circuit UTMB

Robin Bonduelle
9 min readJun 30, 2024

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Ah, celle-là, je l’ai sentie passer ! Une épreuve usante, éreintante, douloureuse même, avec ses hauts et ses bas et un suspens à faire honneur au septième art.

Elle a finalement été à l’image des huit mois précédents…

Parce qu’en effet, moult s’est passé depuis la dernière fois que j’ai pris la plume, en octobre dernier. C’était pour le récit de mes Templiers. Quelle course j’avais faite ! Pas de fausse note, une gestion sereine et appliquée de bout en bout, presque suspecte pour un quasi débutant…

J’oscillais alors entre la joie de l’écrivain qui vient de terminer son premier best seller, et son doute existentiel de savoir s’il remettra ça un jour.

L’après Templiers

La course aussitôt terminée, je ne pensais donc qu’à la suite, avec une excitation mêlée d’inquiétude de confirmer l’essai. J’étais en grande forme et décidai d’en profiter.

Après avoir fait en vain les yeux doux à la SaintéLyon, guère émoustillée par mes récents résultats — je n’ai même pas eu de réponse à mes sollicitations éplorées… — je me suis rabattu sur un semi-marathon local improvisé, celui de Lourdes-Tarbes, bien plus accueillant, et bouclé en 1h11. Sans préparation, sans repères, je me suis élancé sur un rythme de 1h15, pour voir.

Et j’ai vu ! Le charme a de nouveau opéré ! Des jambes toutes fraîches qui m’ont permis d’accélérer et de doubler tout du long, comme un dératé, comme aux Templiers. Je reste médusé par ma vitesse lors de cette course — mon précédent record tournait autour des 1h20 — un peu déçu, aussi, de n’avoir pas pu tester mes limites avec cette gestion défensive des allures.

Quoi qu’il en soit, bingo, j’étais en forme. Les deux dernières courses de la saison le confirmèrent. D’abord aux départements de cross court des Hautes-Pyrénées, à la maison, avec une victoire sur un 4 kilomètres nerveux et boueux. Sacré shot d’adrénaline, bataillant dur à coups de grandes glissades, le coeur à 180, dans un long sprint interminable. Puis une nouvelle victoire au Politrail de Gruissan, format 50km, en bande avec les zébulons des Esclops, et qualificatif pour les championnats de France de trail.

On était en décembre, j’avais commencé le trail en avril, et j’en venais à me demander ce que Gwenn mettait dans ma soupe pour avoir des résultats pareils. Forcément, en bon franchouillard patriote, et avec ma qualification dans l’escarcelle, je me prenais à rêver de ressusciter mes Templiers à Buis-les-Baronnies, c’est-à-dire aux Championnats de France, en avril.

J’avais quatre mois pour me préparer, tout plein de séances à tester, un enthousiasme de jouvenceau et un parcours de 60 kilomètres roulant à souhait.

Le parpaing dans la poire

C’est à ce moment, dans les films, que surgit toujours l’élément perturbateur, sans quoi on se ferait royalement chier. Le héros, qui commençait à trop aimer la vie et son image dans le miroir, se prend un parpaing du destin, qu’il va falloir s’appliquer à retaper. En bon maçon consciencieux, il devra puiser dans ses ressources afin de rafistoler ce qui peut l’être.

Qu’on soit clair, ça ne s’est pas du tout passé comme ça pour moi. Le parpaing je me le suis pris, mais il m’a plaqué au sol, sans perspective aucune de rafistoler quoi que ce soit.

Comme dans les contes, en revanche, ça a débuté la veille de Noël. Un bon repas d’huîtres contaminées ramenées par le fraternel, et me voilà à plat une semaine, puis deux, puis trois… Ce que je prenais pour une gastro s’est révélé être une hépatite, et c’est finalement quatre mois que j’ai mis à remonter la pente.

Le corps a foutu le camp : nausées, diarrhées, maux de tête, douleurs musculaires et de ventre… Puis le tour de la tête est venu — violemment — à force de ne pas sortir, de sentir parfois du mieux avant que le parpaing ne retombe, inéluctablement. Bien entendu, semaine après semaine, je gardais le secret espoir de pouvoir participer aux Championnats de France, pour finir par comprendre, long à la détente, que les délais jouaient à 10 contre 1.

En fin de compte, c’est lessivé de corps et d’esprit que je me suis retrouvé en avril, l’infection enfin derrière moi.

La remontada

L’étape suivante des films, celle où le héros s’est tiré d’un guet-apens fatal et rayonne d’avoir rangé dans les tiroirs son élément perturbateur, cette étape-là, je l’ai vécue. Mes premières sorties en montagne, printemps et ventre clair aidant, m’ont fait l’effet d’un rescapé. Je ne courais pas, je volais. J’écoutais les oiseaux, j’observais les éclaboussures de soleil en sous bois, je plongeais en cours de sortie une tête dans un cours d’eau, et je me disais que merde, c’est quand même pas mal la santé.

Voilà où j’en étais, après quelques montagnes russes à la mode pyrénéenne. Il était grand temps de se demander sur quoi rebondir côté course à pied.

Bien sûr, la chose m’a paru évidente : je ferais ma rentrée au trail des Gypaètes (30km, 2000m de dénivelé), mon tout premier trail l’année précédente. Quelle bonne idée ! Moi qui n’aime pas les symboles, je trouvais celui-ci savoureux.

Le mot d’ordre était clair : j’y allais sans réelle préparation, mais à l’envie. Sans réel objectif, mais avec l’intention de vendre chèrement ma peau. Au terme d’une sauvage bataille, j’ai fini par l’emporter. Une belle entame pour une course difficile, éprouvante dans les montées — à trainer mes kilos en trop de l’hiver — et aggressive dans les descentes — à tout risquer pour rattraper mon retard. Même résultat avec la course suivante, le 32km et 1800m de dénivelé de Bagnères-de-Bigorre, à la maison, certes moins compétitif mais sous des torrents d’eau. 2 courses, 2 victoires, une forme en progression et de nouveau, des envies de pousser mes limites pour la suite.

La préparation

La suite ? Le trail du Hautacam, 45km et 2800m, fin mai, comme ultime course de préparation avant le gros jalon du trimestre : l’Andorra by UTMB, format 80km.

C’est alors que j’ai pris mon second parpaing : une tendinite du talon d’Achille, déclenchée trois jours avant Hautacam. Ce parpaing-là, il est fort bête, et j’en ai la complète paternité, aucun ostréiculteur à blâmer. En plein affutage, j’ai tenté une première séance de pliométrie ever. Or, on ne rigole pas avec la pliométrie. Quand on en fait de la plio, on la respecte, on l’honore, avec mesure et progressivité, bref tout ce que je ne fais jamais.

Malgré un tendon frottant dans sa gaine comme une craie sur un tableau, j’ai décidé de prendre le départ et d’aviser. Premiers kilomètres très douloureux, la suite en contrôle, sans forcer, pour une victoire au mental, dans un décor somptueux. Et trois semaines devant moi pour réparer tout ça avant l’Andorre.

Le récit de la préparation et de la stratégie de course sera rapide : néant. Côté préparation, pendant trois semaines, j’ai appliqué un protocole de caresses tendineuses, cette fois avec sérieux et méthode, sans même penser à m’entraîner. Côté stratégie, l’idée était de m’aligner au départ, à défaut d’espérer mieux. Malgré tout, cette fois-ci, la tête allait très bien, c’est beaucoup plus simple d’être stoïcien quand on est seul responsable de son marasme.

Le protocole faisant son petit effet, j’ai finalement pu m’aligner, sans volume et sans stress test, mais avec un tendon relativement remis, cajolé comme il se doit par une montagne de caresses.

La course

On en vient enfin au D-day, accompagné de ma bretonne à l’assistance. L’Andorre c’est beau. Notre hôtel, il était beau aussi, et le temps il était encore plus beau. En somme, un merveilleux weekend en amoureux, les schtroumpfs gardés par les parents, sans pression car sans objectif, à me dire que tous les kilomètres que je pourrais grappiller sur mon tendon seraient toujours ça de gagné.

La première heure fut sous contrôle, menée au coude à coude avec un espagnol : quitte à ne pas aller au bout, autant faire du joga bonito. Je terminai en tête la première ascension de 1300m de dénivelé et une vingtaine de kilomètres, le tendon frais comme un gardon.

C’est dans la première descente que la craie a recommencé à frotter. Damned, il restait 60 kilomètres, et je devais déjà modifier ma foulée, comme à Hautacam, en vue de soulager mon pied. Lors de cette descente je me suis perdu quelques minutes, pour voir une fois revenu sur le droit chemin que le norvégien m’avait dépassé. J’ai tiré dans la montée suivante pour recoller. Moi, mon expérience du trail elle est récente, alors courir pour la première fois en haute montagne, hors sentier la plupart du temps, parfois même dans les névés, j’aimais autant le faire à deux.

Malheureusement, lors de la seconde longue descente, raide et technique, le norvégien a filé pleine balle, me prenant cinq minutes en quelques kilomètres. La descente, c’est habituellement mon point fort, l’unique endroit où je raffle parfois un KOM. Mais là-non, mon tendon hurlait. Il restait 45 kilomètres, je me disais que ça avait été un beau moment, que j’avais grappillé ce que j’avais pu, mais que toutes les bonnes choses ont une fin. Gwenn, au ravitaillement quelques kilomètres plus loin, m’offrait une porte de sortie charmante et facile.

Je ne sais pas ce qui m’a relancé. Peut-être cette petite phrase de Gwenn : « il n’est qu’à deux minutes ». C’est tout con, mais mon cerveau a vrillé. Mon caractère obtus a resurgi fissa. Quelle idée d’abandonner, non mais quoi encore. Je l’ai jamais fait, c’est pas maintenant que je vais commencer me dis-je. Maintenant entre toi et moi, c’est devenu une affaire de principes mon petit norvégien.

Et donc j’ai rempilé en chasse patate, après une minute top chrono, sous le regard incompréhensif de Gwenn qui m’avait ramené tout un arsenal de ravito auquel je n’ai in fine pas touché. On en avait terminé avec le dénivelé. Drôle de tracé tout de même, avec sa première moitié massivement hors sentier et en dents de scie, la seconde moitié bien plus roulante et plate.

Par chance, mon tendon fonctionnait mieux sur plat. Passé de douleur fulgurante à gêne supportable, il apportait ce supplément de hargne au prix d’une légère déformation de foulée. J’ai fait mon quota sur l’attaque talon pendant 40 kilomètres, à faire jaser les réseaux sociaux. J’y perdais 20 secondes au kilomètre, mais au moins j’avançais.

Le norvégien a refait surface vers le cinquantième, le bougre. Je l’ai suivi un moment, puis j’ai attaqué alors qu’il semblait accuser le coup. Tu parles, alors que je pensais avoir fait le plus dur en le déposant derrière moi, il a pointé son nez au ravito suivant, comme une fleur. Diantre il n’était pas décidé à lâcher quoi que ce soit. On a joué à ce jeu du chat et de la souris pendant les 10 kilomètres suivants, à tendre et détendre le fil de notre joute, jusqu’à ce qu’il craque (le fil, toujours pas le norvégien) à mon avantage.

C’est avec un peu moins de trois minutes d’avance que j’ai finalement franchi la ligne, le corps frais faute d’avoir pu pousser autant que prévu, mais le tendon et le mental rudement éprouvés. Je n’ai pas encore une grosse expérience en la matière, et pourtant je crois que je viens de réaliser ma plus belle course, au forceps, avec les moyens du bord, c’est-à-dire fichtrement amoindris. Je persiste à me demander d’où viennent ces résultats surprenants au vu de mon inexperience en sport de compétition : le commencement d’une piste se trouve peut-être au niveau de ma tête, plus têtue qu’un ado en rébellion.

La suite

Je venais en Andorre pour une qualification à la CCC, chose acquise grâce à cette première place surprise. Je ne pourrai pas l’honorer cette année, cher Mont Blanc, je te dis donc à tantôt en 2025. D’ici-là, rendez-vous fin août pour le Grand Raid des Pyrénées, à quelques kilomètres de la maison, pour un tour du jardin !

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