Comment j’ai terminé huitième au grand trail des Templiers 2023

Robin Bonduelle
11 min readNov 1, 2023

Quelques jours ont passé. Il est temps de faire le point sur cette fin de première saison de Trail et ces 80km dans les Causses. Préparation, derniers doutes avant la bataille, récit de course et ce qui vient après : c’est parti.

Pourquoi les Templiers ?

La première question, peut-être, c’est pourquoi m’être enrôlé sur ces Templiers ? Pas pour le trail lui-même, ça c’est sûr. J’en avais entendu parlé de loin des Templiers, sans qu’ils ne m’évoquent beaucoup plus qu’une récupération historique pour marketer une énième course.

Non, de manière très mathématique, type comptable avec ses petites lunettes sur son nez retroussé, je n’ai choisi Millau que pour ses mensurations. J’ai couru cette année sur 20km, 30km et 50km : il me fallait parachever cette pyramide kilométrique pour savoir avec quelle distance m’acoquiner l’an prochain.

Fort de ce plan très intelligent, je me connectai alors sur le site des Templiers et…. diantre, comme à mon habitude, je me réveillai trop tard : plus un seul dossard disponible. Le monde court tôt et n’attend pas. Profitant de mes deux premières cotes ITRA à 800 points, je me dis, alea jacta est Robinus, étant presque un élite maintenant, ils allaient bien me faire une petite place. J’envoyai un email, fleuri de ma plus belle poiesis. Quelques jours plus tard, ce fût la victoire, la consécration, l’avènement. Un dossard m’était octroyé par l’Organisation, même sentiment qu’un coupe file VIP un samedi soir au Bus Pa.

Dossard dans la besace, 4 semaines avant la course, est ensuite venu le temps des doutes. C’était un avènement certes, mais encore fallait-il savoir de quoi. Que valais-je donc et que pouvais-je espérer de ce fameux viaduc ?

Ma confiance, alors au fond du trou, continuait de creuser après un été compliqué. Incisive cassée (en trottinant à 500m de chez moi), disqualification à ma dernière course (après avoir raté un point de contrôle du à un balisage espagnol plus que poussif), dos déplacé (par une attaque de poutre bretonne), ou encore nuits saccagées (à courir après deux gosses qui passent plus de temps éveillés de nuit que de jour), ça commençait à bien faire les vacances.

Mais quelque part, c’était la rentrée, et c’est bien la rentrée. On peut envoyer les enfants à l’école et prendre du repos en se remettant au travail.

Programme d’entraînement

Avant toute chose, il me fallait plancher sur mon plan d’entraînement. A un gros mois de l’échéance, il ne me restait plus beaucoup de temps.

Le trail des Templiers est roulant : 80km de chemins rapides, découpés de raides et brefs pétards cumulant seulement 3500m de dénivelé : on y court quasiment tout le long, il se gagne en moins de 7h.

Finalement pas si mal vu mon profil de coureur routier novice sur les chemins. Je garde une bonne vitesse de fond, j’exècre encore tout ce qui se rapproche à de la marche ou à des bâtons, et j’ai toujours du mal à accumuler du dénivelé. Bref l’UTMB c’est pas pour demain, mais avec les Templiers, tu tiens quelque chose me dis-je.

Je décidai donc d’axer ma préparation autour de trois piliers : travail de vitesse à plat, répétitions sur montées sèches et sorties longues pour encaisser les kilomètres et le dénivelé de la course. Quelques sessions pêle-mêle :

  • Côté vitesse : 20 x 400m sur piste, 6 x 1km, 4 x 2km, 3 x 10’ au seuil, fartlek. Presque mûr pour un 10 kilomètre sur route après ça.
  • Côté dénivelé : 20 x 45’ en cote, 8 x 3’ en côte, 4 x 6’, 2 x 10’ et toutes les autres combinaisons de multiples imaginables. Beaucoup de travail de descente pour casser de la fibre aussi.
  • Côté sortie longue : deux ou trois sorties de 30km, au bon ratio km/d+, à allure progressive.

En fin de compte, j’ai traversé ce bloc avec une confiance croissante. D’abord éprouvé par les reliquats de mon dos perclus et ses ricochets vers un début d’aponévrose, un syndrome de la patte d’oie ou une tendinite tibiale antérieure — oui c’est beaucoup pour un seul homme… — et alors que je contemplais l’idée de trahir la confiance placée en moi par l’Organisation avec un grand O des Templiers avec un grand T en annulant, les choses ont commencé à prendre meilleure tournure. Une à une, à force de massages, de renforcement, d’étirements, les muscles, tendons et autres ligaments franc-tireurs sont l’un après l’autre rentrés dans le rang, m’offrant deux dernières semaines à plein régime.

Chose surprenante, après toutes ces galères, je revenais en très grande forme. J’ai depuis en partie compris le miracle : la meilleure gestion récente de mon alimentation couplée à l’entraînement m’avaient fait passer en deux mois de 72 à 65kg. Pas mal de poids en moins pour trainer ma pauvre carcasse sur les sentiers !

Stratégie de course

Une fois la confiance restaurée, je pouvais enfin m’atteler à ma stratégie de course. J’avais décalé au maximum cette phase, me concentrant sur l’entraînement pour ne pas me faire dévorer par l’objectif. A dix jours des Templiers, il était plus que temps de s’y mettre.

C’est à ce moment-là que j’ai étudié de plus près les Templiers. Et… Oh le choc ! En fait, c’est quelque chose ce trail ! Quel monument ! Quel parcours ! Quelle start list ! Pauvre de moi, étriqué comptable binoclard que j’étais, qui se bornait aux mensurations de ce géant. L’excitation est montée d’un coup. J’allais enfin courir avec tous les gars et les nanas que j’écoute en podcast depuis des mois. Un peu comme si on pouvait rouler avec Alaphilippe ou raffuter avec Dupont du jour au lendemain…

Bon, avant de pouvoir vraiment courir avec Jonathan Albon, il me fallait un objectif raisonnable. La route est longue jeune padawan, il y a tout juste sept mois, tu n’avais encore jamais épinglé de dossard.

Pour définir un chrono crédible, j’ai recherché dans les résultats 2022 ce qui se rapprochait le plus de ma cote UTMB — quelque part entre 800 et 820. C’est la trace de Florian Debette, 14ème l’an dernier, qui a canalisé mon attention — merci à toi si tu me lis, je t’ai plagié comme jamais ! L’étape suivante fut simple : aller sur son Strava, détailler sa course kilomètre par kilomètre, puis en tirer allure et points de passage cibles sur les différents tronçons de la course. Dans l’ensemble, j’obtins un objectif de 7h45, avec une première moitié de parcours à foncer à 12km/h, et une deuxième moitié à survivre à 10km/h. J’étais tout chose. On a beau se dire que c’est dans ses cordes, prévoir de tenir un pace à 5'48 sur 80km, ça rend un brin fébrile tout de même.

Une fois mes points de passage validés, je pu m’attaquer à la nutrition. Ayant très peu de recul en la matière, je visai 80g de glucides par heure, en respectant deux principes simples : aller du salé vers le sucré, et de l’indice glycémique bas vers l’indic glycémique haut. Concrètement, et dans l’ordre, j’ai donc enchainé noix, compote salée maison, barre protéinée, gels, compote sucrée maison, pates de fruits, le tout savamment arrosé de boisson énergétique. J’atteindrais finalement 65g de glucide en moyenne à l’issue de la course, pas si mal pour un premier essai.

Niveau matériel, je n’ai pas changé grand chose par rapport à mes trails précédents, si ce n’est remplacer mes Asics Trabucco par des Hoka Tecton X 2, bien plus dynamiques sur du roulant, un peu moins précises dans la boue, aussi. Surtout, après avoir visualisé le parcours sur Youtube à peu près 42 fois (merci Mathieu Delpeuch, si tu me lis), j’ai troqué le sac pour une ceinture et optimisé mes ravitaillements, ce qui m’a fait gagner aisance et poids.

Je partage mon template de course Notion ici pour les curieux. Par ailleurs, petite astuce qui a eu son importance : j’ai plastifié ce plan pour l’emporter avec moi. C’était la première fois que je faisais ça, et j’ai adoré l’avoir avec moi pour mieux m’en écarter.

Voilà, à une semaine de l’événement, j’étais fin prêt. Motivé comme jamais, gonflé à bloc pour exécuter The Plan, sec comme un coup de trique, quand soudain… j’attrape le virus que se trainaient mes deux lardons et leur madre depuis 3 semaines. Patatras, le château de cartes savamment construit s’écroule. Plus capable de courir 1 kilomètre sans m’époumoner. Puis, faute d’entrevoir la moindre once d’amélioration au fil des jours, le spectre de l’annulation a repointé le bout de son nez avec de plus en plus d’insistance jusqu’à la veille du départ…

J’allai finalement le prendre ce départ, n’oublions pas que Alea jacta est Robinus, mais avec un plan B : à défaut de pouvoir suivre le rythme, j’aurais comme objectif alternatif de finir, et c’est déjà très bien hein, d’être finisher, que je me disais devant ma glace.

La course

Réveil compliqué à 3h du matin, à cracher mes poumons, embrumé, encombré, encrassé. C’en est au point où je dois passer vingt minutes la tête en bas pour laisser s’écouler le malin glaireux depuis le fin fond de mes bronches. Passé la difficile routine matinale, il était déjà temps de se rendre au départ. Un grand merci à Denis, qui a réalisé mon assistance, de s’être levé pour nous accompagner, moi et mon humeur flagada.

Les premières minutes de course furent relativement rapides, sans excès, aux alentours de 3'40 au kilomètre. Je me suis amusé quand même de voir 25 coureurs partir dans le groupe de tête avec Jonathan Albon et consorts. Allez-y les gars, vous péterez mieux plus tard, je me suis dit. J’ai du mal à comprendre cette stratégie, mais après tout c’est peut-être mon côté petit comptable qui affleure.

J’appréhendais de courir de nuit, n’ayant quasi aucune experience en la matière. J’ai pourtant énormément apprécié ces deux heures sur le plateau dans la nuit noire, à courir les uns à côté des autres sur chemins larges. Un instantané : Clément Christen à ma gauche et sa foulée formidable, qui m’ouvre le chemin dans la nuit. Saïd Mansouri à ma droite, et sa foulée plus terrestre mais non moins efficace.

Sensation de vitesse, fusées dans la nuit, aspirées dans le tunnel de la frontale, je suis finalement peut-être plus animal nocturne que ce que j’aurais cru. On m’avait parlé des sensations faussées pendant la nuit, cette impression de courir plus vite que son allure réelle. Eh bien c’est tombé dans le mille. Je me faisais l’effet d’un dératé fonçant dans son cône de lumière… à une vitesse somme toute très raisonnable.

Deux premiers accrocs sont venus troubler ma course à ce moment-là : je restai bien malade, à cracher mes poumons et leurs verdâtres saillies dans des quintes de toux interminables. J’avais bien regardé la température à Millau pour prévoir ma tenue de nuit, mais pas sur le plateau où l’on a perdu plusieurs degrés, au vu du givre croisé çà et là sur les ornières.

Seconde anicroche, j’avais prévu pour faire plaisir à mon côté comptable un capteur cardiaque, afin de ne pas m’enflammer en début de course. 30 minutes de doutes à voir mon rythme cardiaque s’affoler en dépit de sensations très contrôlées, 30 minutes à attendre de craquer, pour finir par comprendre que mon capteur ne s’était pas branché et que mon pouls venait de la montre… Saleté. 80km à me porter une ceinture cardiaque pour rien, on y reviendra côté optimisation ! Pour autant, j’ai préféré me fier à mes sensations et bien m’en a pris. J’arrivai sur les coups de 7h après le premier ravitaillement en bonne forme, bonnes jambes, bonne tête, autour de la vingtième position.

Bref, tout se passait bien… jusqu’à ce que ma frontale se mette à clignoter et ne s’éteigne 20 minutes avant que le jour ne se lève… Le trail, c’est que du matos en fait. Obligé de marquer la culotte à un concurrent pour profiter de son faisceau, avant de lui fausser compagnie dès les premières lueurs de l’aube. Un vrai gentleman.

Durant ces 3 premières heures, je n’ai eu de cesse de me trouver des compagnons de route, d’échanger quelques mots, de passer quelques minutes à leurs côtés, de me projeter dans une course en groupe, de m’attacher quoi. Puis de finalement les dépasser les uns après les autres. Je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait, et au petit matin, je pointais un peu au-delà de la dixième place.

Le levé de soleil sur le plateau des Causses a peut-être été la plus belle émotion de ma course. Y a pas à dire, c’est beau ce pays. Après ça, on comprend Bové quand il fait sauter ses macdos. A peine le temps d’apprécier qu’on arrivait au premier ravitaillement assisté, à 34km. Curieux de voir combien la minute passée avec son ravitailleur a de valeur, comparé au temps qu’elle représente. Pendant 35 kilomètres, j’en avais fait mon objectif, je l’avais attendue, convoitée cette minute. Mais pas le temps de tergiverser, Jones a profité du ravito pour revenir de l’arrière et m’attaquer. Rooh c’est petit. Soit, je me suis collé dans ses basques et suis reparti dare-dare.

Les 20km suivants ressemblent aux 20 précédents, dans un petit matin qui commence à éclabousser de soleil le sentier forestier. Bonnes jambes, bonne forme, bonne tête, et, sans comprendre vraiment comment, des coureurs que je continue de dépasser l’un après l’autre. A ce moment-là, venant d’intégrer le top 10, je décidais d’arrêter de compter, histoire de garder la tête froide.

La course a commencé à devenir difficile vers le 60ème. Le Strava de Florian Debette avait été clair : les Templiers, c’est 40km à foncer, 40km à survivre. J’étais en plein dedans. Montée interminable sur large piste, single obstrué à attaquer les coudes en avant pour ne pas s’empaler sur les branches basses : le parcours ajoutait à ma peine. L’arrivée au ravitaillement de la ferme du Cade, au 73ème, m’a donné un nouveau souffle, en reconnaissant Mathieu Delpeuch, qui a pris un malin plaisir à m’interviewer en pleine course comme il avait interviewé Simon Gosselin l’an dernier. Mon ravitailleur n’était lui pas au rendez-vous, ils ont leur course pas toujours facile non plus les ravitailleurs, et dans une certaine confusion, j’ai complètement sauté ce dernier ravito. Ni eau, ni glucide en renfort, la dernière heure s’annonçait complexe.

Elle l’a été, complexe, cette dernière heure. Je n’avais jamais dépassé 2700m de dénivelé en une seule sortie ; ça n’a pas raté, les derniers 800m de dénivelé ont massacré ce qui me restait de jambes. Je ne rattrapais plus personne alors, mais ayant assez d’avance, je ne me suis pas fait rattraper non plus, et j’ai donc pu pousser une dernière fois dans la descente vers Millau, avant de franchir la ligne d’arrivée en huitième position, sans vraiment réaliser.

Avec quelques jours de recul, je dois reconnaître que cette course a été très fluide, malgré quelques mauvaises surprises ici et-là. Etre malade m’a peut-être apporté la sérénité qui m’aurait fait défaut sinon. Quoi qu’il en soit, ma pyramide kilométrique terminée, je sais que je continuerai sur des distances de 80km ou plus, j’ai aimé cette sensation de vivre une aventure, de causer avec les uns et les autres pendant la course, d’avoir le temps de contempler les paysages. De profiter en somme. Puis de rentrer dans ma bulle, cette survie à l’économie toute concentrée sur soi-même et son effort jusqu’à l’arrivée. L’année 2024 sera donc portée sur cette distance, affaire à suivre !

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